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24 Avril 2023

10 anecdotes horlogères inattendues

Héritage

de Nicolas Amsellem

Quelques semaines après la fin du salon Watches & Wonders de Genève et tout le sérieux qui l’accompagne, il est bon de se remémorer quelques anecdotes empruntées à cet univers fascinant. Certaines vous seront peut-être familières, d’autres m’ont été comptées discrètement, comme la toute dernière. Enfin, il est bon de rappeler qu’une anecdote demeure un petit fait historique parfois un petit peu gonflé, d’autres fois à mi-chemin entre la légende urbaine et la réalité, ce qui fait aussi son charme !

1. La Royal Oak aurait pu s’appeler Safari

Royal Oak ©Audemars Piguet

Royal Oak ©Audemars Piguet

Le nom Royal Oak a été choisi pour son lien étroit avec un navire de guerre britannique, dont les hublots vissés étaient de forme octogonale. Un vaisseau dont le nom de Royal Oak provenait du fameux chêne grâce auquel le roi d’Angleterre Charles II put échapper à ses poursuivants lors de la bataille de Worcester en 1651.

Royal Oak

Royal Oak

Mais ça, vous le saviez déjà non ? L’autre histoire intéressante est que notre designer fétiche Gérald Genta n’avait pas initialement choisi ce nom. Grand chasseur, amateur de virées en Afrique, il souhaitait la nommer “Safari”, probablement pour son aspect baroudeur et sportive. Malheureusement, le nom ne sera pas retenu, sans savoir d’où est venue cette décision.

Gefica Safari ©gerald genta heritage

Gefica Safari ©gerald genta heritage

Pas de crainte, il réussira tout de même à utiliser le nom de Safari pour sa montre Gerald Genta Gefica Safari, qui n’est autre que la première montre-bracelet au boîtier réalisé bronze et créée en 1988. Un style très différent de la Royal Oak, et qui correspond à mon avis mieux à son terme de Safari.

2. Traire les vaches l’été, rhabiller l’hiver

L’horloger et sa famille, de Fritz Zuber-Bühler (XIXe siècle). © Musée international d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds

L’horloger et sa famille, de Fritz Zuber-Bühler (XIXe siècle). © Musée international d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds

Une façon de faire de l’horlogerie qui nous semble archaïque, et pourtant. Il faut savoir qu’avant l’avènement de la « manufacture » qui regroupe de nombreuses étapes de la fabrication d’une montre pour davantage de contrôle et d’organisation, l’établissage était la façon de faire la plus répandue. Le comptoir d’établissage est l’une des formes d’entreprises horlogères les plus répandues et les plus importantes depuis la fin du XVIIIe siècle.

Atelier ©Anonyme

Atelier ©Anonyme

À sa tête, un fabricant négociant qui achète les ébauches et parties constitutives à des fournisseurs spécialisés, puis les confie à d’autres ateliers ou travailleurs à domicile pour le finissage, l’échappement, l’empierrage, le repassage, le réglage et le remontage, jusqu’à la terminaison complète de la montre. Il centralise toutes ces activités, en contrôle la bienfacture, les rétribue et cherche des débouchés pour la marchandise ainsi obtenue.

©Union Suisse des paysans

©Union Suisse des paysans

Parmi les personnes qui travaillent pour ce comptoir, il s’agit d’une tache qui ne les concerne qu’une partie de l’année, l’hiver généralement. La raison ? Ces mêmes personnes sont attelées au travail de la ferme et de l’agriculture l’été. La façon de pièces pour l’horlogerie leur permet d’assurer un revenu dans les périodes moins propices à la culture. Traire et rhabiller était alors chose commune.

3. Une Cosmograph Daytona sur la Lune ?

Cosmographe Rolex

Cosmographe Rolex

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi la Cosmograph s’appelait ainsi ? Pour la Speedmaster, on le sait, Omega avait la volonté en la créant à la fin des années 1950, en 1957 pour être plus précis, et dans la communication d’alors d’en faire la montre du sport automobile, avec son échelle tachymétrique. Mais la fin des années 1950 et le début des années 1960 marquent aussi le début de la conquête spatiale. Les soviétiques envoient la pauvre chienne Laïka en orbite en 1957 et la NASA est créée en 1958. C’est rapidement en 1962 que cette dernière lance son appel d’offre pour trouver des montres capables de supporter les conditions d’un voyage dans l’espace. En 1964, il ne reste que quelques marques en lice, dont Rolex et Omega. La Speedmaster sera homologuée en mars 1965.

Cosmograph Rolex

Cosmograph Rolex

Rien d’étonnant alors quand on apprend que Rolex a apposé le nom de Cosmograph sur sa Daytona en 1963, mot à la consonance évidente avec l’univers, en vue, peut-être, de la voir un jour homologuée par la NASA. La vie du Daytona que nous connaissons aurait alors été bien différente !

4. Le bain en or du Pacha ?

Cartier Pasha

Cartier Pasha

Bon nombre de légendes urbaines gravitent autour de la naissance de la Pasha de Cartier, mais une retient notre attention plus que les autres et nous emmène au Maroc. Commençons par poser les fondations. Qu’est-ce qu’un Pacha ? Un Pacha était, dans l'Empire ottoman et au Maroc un titre de noblesse de haut rang accordé notamment aux gouverneurs de provinces ottomanes. Thami El Glaoui, Pacha de Marrakech au début des années 1910 et gardant un fort lien avec la France, sera connu pour des goûts très pointus et l’organisation d’évènements somptueux.

Thami El Galoui ©Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion RMN-GP

Thami El Galoui ©Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion RMN-GP

Entre deux soirées avec les plus grands du monde, le Pacha aimait à faire quelques longueurs et c’est ainsi qu’au début des années 1930 il fit la demande à Louis Cartier d’une montre élégante, mais qui puisse aussi être immergée. Rappelez-vous que nous sommes au début des années 1930 et que les premiers pas en matière d’étanchéité sont tous juste faits, au milieu des années 1920 avec la Rolex Oyster et au début des années 1930 avec les travaux sur l’Omega Marine. Louis Cartier réalise donc une pièce pour le Pacha, en or, et étanche grâce à un système de capuchon vissé sur la couronne et relié au boitier par une chaîne de sécurité, un fond vissé sans oublier une fine grille de protection du verre.

Cartier Pasha

Cartier Pasha

Où se trouve la montre du Pacha aujourd’hui ? On ne sait pas vraiment. En revanche, dès 1940, Louis Cartier avait à nouveau travaillé sur cette pièce étanche et élégante qui deviendra plus tard la Pasha.

5. Révolution et système décimal

Système décimal ©FHH

Système décimal ©FHH

La révolution est loin de ne charrier que du bon. Mais pas de politique ici, seulement de l’horlogerie. Avant la Révolution française, les unités de mesure se comptaient en France par centaines. Du pouce, au doigt, en passant par la poignée dans le registre du corps, aux autres hommées et fauchées relatives au travail, sans oublier celles liées au transport comme les ânées et sacs, il y avait de quoi devenir dingue, quand on sait que la même unité pouvait varier d’une ville à une autre.

Lors de la Révolution française, le roi n’étant plus responsable de l’étalonnage, on décide de trouver, comme dira Talleyrand « une mesure universelle et invariable, reproductible et vérifiable partout et toujours ». La naissance du mètre est officialisée par le décret du 1er août 1793. Sa longueur est établie comme « égale à la dix millionième partie du quart du méridien terrestre ». À la fin de cette même année 1793, le temps décimal arriva sur le devant de la scène. Temps décimal qui stipule que « Le jour, de minuit à minuit, est divisé en dix parties ou heures, chaque partie en dix autres, ainsi de suite jusqu’à la plus petite portion commensurable de la durée ».

Montre à décimale datant du 18e siècle

Montre à décimale datant du 18e siècle

L’adoption du système décimal a failli rendre malades les horlogers. On observe alors à l’époque quelques pendules décimales, conservant parfois en sus « l’ancienne » façon de faire. Cette heure décimale verra sa condamnation en avril 1795. Et tant mieux !

6. Louis Alix et la première montre de plongée Omega

Omega marine ©les rhabilleurs

Omega marine ©les rhabilleurs

On sait que la première véritable montre étanche à avoir été créée n’est autre que la Rolex Oyster, en 1926, avec sa couronne vissée. S’il s’agit d’une montre étanche, il ne s’agit pas d’une pièce pouvant résister à la pression de l’eau. Pour cela, il faudra attendre 1932 et la Omega Marine.

Omega Marine ©omega

Omega Marine ©omega

C’est ici qu’il faut préciser que la force d’Omega n’a pas seulement été de créer à partir de 0, mais savoir trouver des opportunités et lancer des produits au bon moment. C’est justement le cas avec cette montre historique.

Omega Marine ©omega

Omega Marine ©omega

En effet, la Omega Marine se fonde sur le brevet d’un sertisseur de Genève, externe à la société Omega, Louis Alix. Un brevet déposé en 1931, dont Omega a eu la jouissance pour créer la Marine et ainsi prendre un temps d’avance. Un temps d’avance qui passe par le test de cette montre en conditions, notamment dans le lac Léman à 70 mètres, puis un peu plus tard en 1937 par un laboratoire de Neuchâtel qui lui pousse la pression à 13,5 atmosphères.

7. El Primero et le protectionnisme américain

El Primero ©Les Rhabilleurs

El Primero ©Les Rhabilleurs

À la fin des années 1890 et avec l’arrivée au pouvoir du président Mac Kinley, le protectionnisme américain connu une correction pour l’horlogerie effectuée en dehors de ses frontières. Plus précisément des mesures de taxation au regard du nombre de rubis au sein des mouvements.

Zenith El Primero

Zenith El Primero

Jusqu’à 7 rubis on paye une taxe de 0,35$ sur le mouvement, entre 16 et 17 rubis 1,25$ et au-delà 3$ ! Fort de ce paramètre à prendre en compte pour ne pas dégrader les marges, les marques européennes qui exporteront aux États-Unis veilleront à ne pas dépasser ce seuil. C’est pourquoi on trouve à ce moment-là des mouvements similaires avec un nombre de rubis bien différent selon le pays d’exportation, comme le calibre El Primero chez Zenith, dont les versions Movado distribuées aux États-Unis dévoileront seulement 17 rubis contrairement aux 31 pierres en Suisse.

Zenith El Primero publicité

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Néanmoins, les performances et la fiabilité du El Primero n’en sont pas affectées, incroyable non ? Méfiez-vous des rubis !

8. Ulysse Nardin et la montre parfaite dans les airs

Ulysse Nardin Sun Star Batori ©sothebys

Ulysse Nardin Sun Star Batori ©sothebys

La très belle manufacture Ulysse Nardin a été pleine de surprises et de rebondissement au cours du XXe siècle. Si tout se passait normalement, l’entreprise Batori Computer américaine du début des années 1950 n’aurait pas dû rencontrer le destin d’Ulysse Nardin. Et pourtant. Batori Computer a été réputée pour la fabrication d’ordinateurs de vol sous la forme de règles de calcul complexes, par exemple pour le triangle des vitesse et le calcul de la dérive. C’était sans compter la demande d’Oscar Batori au milieu des années 1950 pour une montre particulière, après sa visite chez Ulysse Nardin et déplorant l’absence de manufacture de chronomètres de bord permettant de relever des informations importantes en l’air.

C’est pourquoi, avec une étroite collaboration avec Oscar Eugene Batori, Ulysse Nardin présente en 1956 le chronomètre « Sun Star », utile pour la navigation aérienne, qui indique sur le même cadran à affichage 24 heures, le temps solaire moyen ou temps civil et le temps sidéral, sans oublier l’angle horaire de Greenwich, pratique pour des calculs de longitudes. Une pièce assez exceptionnelle et produite à très peu d’exemplaires.

9. 222, sans Gerald Genta

Vacheron Constantin 222

Vacheron Constantin 222

Si vous demandez à un amateur de montre le nom de celui à l’origine du design de la 222 chez Vacheron Constantin, il est fort probable que la réponse soit « Gerald Genta » et soit fausse. En effet, cette référence Vacheron Constantin apparaît en 1977 à l’occasion du 222e anniversaire de la marque, alors que les montres de sport à bracelet intégré de prestigieuses marques commencent à se diffuser, et c’est bien le coup de crayon de Jorg Hysek qui créé le mythe, et non celui de notre adoré Gerald Genta.

10. Russel Crowe et la Patek Philippe

Russel Crowe par Rico Torres ©20th Century Fox

Russel Crowe par Rico Torres ©20th Century Fox

Dans le film de Ridley Scott « A Good Year » dévoilée en 2006, avez-vous prêté attention aux montres portées par Russell Crowe ? Dans ce film, où Russell Crowe joue un trader compliqué qui hérite d’un domaine viticole provençal et tombe aussi amoureux de Marion Cotillard dans le rôle de Fanny Chenal en gérante du café du coin, il porte une Patek Philippe particulière. C’est Romain Réa, déjà expert en montre et reconnu pour ses rapports « horlogers » avec le cinéma, qui lui confiera une rare référence 130 Patek Philippe, ni plus ni moins qu’un chronographe mono-poussoir en or jaune dans notre cas. Le destin de cette petite merveille a failli devenir sombre quand on demande à Romain Réa si la montre peut se trouver dans une scène « piscine » avec des risques d’être bien éclaboussée.

Russel Crowe par Rico Torres ©20th Century Fox

Russel Crowe par Rico Torres ©20th Century Fox

 La réponse est logique, et Romain Réa devra trouver une doublure du chronographe pour qu’il puisse être éclaboussé à la place. La doublure en or jaune reviendra bien rouillée, et remboursée par la production ! Russell Crowe avait émis le souhait d’acquérir la Patek Philippe à la fin du tournage, mais alors qu’il fait une cascade avec la montre, il casse l’axe de balancier et la montre s’arrête de fonctionner. Le temps de la remettre d’équerre, l’acteur était déjà passé à autre chose. En fin de comptes, on retiendra que la magnifique référence 130 a évité un destin bien tragique.

Voilà pour ces dix premières anecdotes en rapport avec le beau monde de l’horlogerie et ses histoires sans fins, en espérant vous avoir au moins surpris une fois, ce dont je ne doute pas !