La finance se met au « bleu ». La finance se met au « bleu ». La finance se met au « bleu ». La finance se met au « bleu ». La finance se met au « bleu »
La finance se met au « bleu ». La finance se met au « bleu ». La finance se met au « bleu ». La finance se met au « bleu »
08 Décembre 2022
La finance se met au « bleu »
Forum, Durabilité
Les besoins en capitaux sont énormes, mais la mobilisation est faible en faveur des océans. Si les fondements d’une « économie bleue » se mettent en place, le tempo est forcément trop lent. Sans oublier que la financiarisation de la nature répond au postulat aujourd’hui contesté d’une croissance économique et financière illimitée.
Et si la nature avait un prix, quel serait-il ? Les titres cotés en Bourse ont bien une valeur de marché, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les écosystèmes dont la survie va dicter la nôtre ? Cette question consistant à monétiser le bien commun en fonction du service qu’il rend à l’humanité est fondamentale dans le contexte actuel du changement climatique et des moyens financiers mis à disposition pour le combattre. Une question qui concerne bien évidemment les océans, en raison du rôle vital qu’ils jouent dans l’équilibre écologique de la planète mais également parce que les océans, en dehors des zones économiques exclusives, n’appartiennent à personne. Ou plutôt à tout le monde. Rappelons, à toutes fins utiles, que les océans fournissent la moitié de l’oxygène sur terre et qu’ils ont absorbé 90 % de la chaleur d’origine humaine et un quart des émissions carbone depuis les années 1970 ; les océans assurent également 90 % des échanges commerciaux et offrent un travail, de la nourriture et un cadre de vie à près de 3 milliards de personnes.
Pauvres financements
Dans ce contexte, les économistes ont naturellement cherché à chiffrer ce formidable vivier pour arriver à la conclusion que la valeur des actifs liés aux océans représente un montant calculé, selon le WWF, à 24'000 milliards de dollars, soit grossièrement la production de richesse annuelle des États-Unis. Mieux, si l’Océan était un pays, il générerait un PIB de 2'500 milliards de dollars, ce qui le positionnerait au 8e rang actuel des principales économies mondiales en termes de valeur ajoutée, derrière la France mais devant le Canada. Un montant que l’OCDE voit d’ailleurs culminer à 3'000 milliards d’ici à la fin de la décennie. Avec un tel potentiel, on aurait facilement tendance à croire que les capitaux affluent vers l’or bleu dans le but de préserver et faire fructifier un tel capital. Autant dire qu’il n’en est rien et que le déficit de financement est chronique dans des projets conformes à l’objectif de développement durable 14 des Nations unies consistant à conserver et exploiter les océans de manière responsable.
Sur les 10 dernières années, l’économie marine a connu des investissements « durables » équivalents à 1 % de la valeur de ses actifs.
Pour rester encore un instant dans les statistiques, le dernier rapport sur l’état du financement pour la nature, établi en 2021 par l’ONU et le World Economic Forum, note que les solutions fondées sur la nature (SFN) représentent un financement annuel d’environ 133 milliards de dollars, ou 0,10 % du PIB mondial, dont 86 % sont assurés par des fonds publics. « À l’avenir, les investissements dans les SFN devraient au moins tripler en termes réels d’ici 2030 et quadrupler d’ici 2050 si le monde veut atteindre ses objectifs en matière de changement climatique, de biodiversité et de dégradation des sols », note le rapport. Et de préciser ne pas couvrir les solutions concernant l’environnement marin qui seront incluses dans la prochaine étude. Aucune bonne surprise n’est toutefois à attendre de ce côté. Selon le World Ressource Institute, sur les 10 dernières années, l’économie marine a connu des investissements « durables » équivalents à 1 % de la valeur de ses actifs. Si l’on se réfère aux estimations du WWF, cela représente quelque 24 milliards de dollars par an. Un montant ridiculement bas, même rapporté aux besoins cumulés de 8'100 milliards calculés par l’ONU pour permettre à l’humanité de passer le cap de l’an 2050 autrement que dans une poêle à frire ! Ces montants donnent-il le vertige d’un Everest financier inatteignable ? Certainement pas si l’on en juge par certaines capitalisations boursières, comme celle d’Apple, qui, en janvier 2022, franchissait le cap des… 3'000 milliards de dollars avec des liquidités net de l’ordre de 200 milliards.
Le financement de la biodiversité souffre d’un manque de capitaux de l’ordre de 700 milliards de dollars par an.
Dans ce contexte, toute bonne nouvelle est bonne à prendre. Et, fort heureusement, elles ont commencé à se multiplier. Notamment lors du dernier One Ocean Summit, tenu à Brest en février 2022. La Banque européenne d’investissement et son pendant allemand, qui avait déjà annoncé un financement de leur Clean Oceans Initiative à hauteur de 2 milliards d’euros 2023, vont doubler la mise à l’horizon 2025, notamment grâce à l’apport de la Banque européenne de reconstruction et de développement. À ce jour, l’Initiative a déjà financé des projets visant à résoudre les problèmes de durabilité les plus urgents auxquels sont confrontés les océans, notamment la mauvaise gestion des plastiques et des eaux usées pour 1,6 milliard d’euros. Plus de 20 millions de personnes ont déjà bénéficié de ses projets. Lors du même sommet, l’Ocean Risk and Resilience Action Alliance, regroupant notamment les assureurs Axa et Willis Towers Watson, Bank of America et le WWF, annonçait également un nouvel apport financier des gouvernements britannique et canadien, portant à 500 millions de dollars les montants à investir d’ici 2030 dans des solutions basées sur la nature en milieu marin.
Les obligations « bleues »
Inutile de multiplier ces exemples, ils montrent bien que ce sont essentiellement les gouvernements et les banques de développement, voire les associations « philocéaniques », qui sont aux avant-postes de ces investissements. Et pour une raison des plus louables. Cet argent public soutient en effet des causes qui, faute d’un rendement financier immédiat, sont porteuses de bénéfices à plus long terme ou de portée nationale, comme la création de zones marines protégées. Ce qui n’est toutefois pas incompatible avec une démarche d’investisseurs, notamment avec l’opportunité qu’offrent les levées de fonds couvertes par les obligations « bleues ». C’est le gouvernement des Seychelles qui a ouvert la voie en 2018 avec une obligation bleue souveraine d’une valeur plafond de 15 millions de dollars garantie par la Banque mondiale et le Fonds pour l’investissement mondial. Un placement souscrit par les trois gros investisseurs que sont les gestionnaires d’actifs Calvert Impact Capital et Nuveen, accompagnés de l’assureur Prudential. Bénéficiaires des fonds : pêcheurs artisanaux et semi-industriels, institutions nationales et locales actives dans la gestion des ressources marines et organisations publiques dépendantes des océans.
Depuis, la démarche a fait tache d’huile avec des montants susceptibles cette fois de créer de la liquidité. C’est notamment le cas avec la levée de 200 millions de dollars assurée par l’obligation bleue de la mer Baltique en 2019 réunissant les États riverains de la mer du Nord engagés dans la réhabilitation de ces eaux parmi les plus polluées de la planète. Mais les obligations bleues sont également utilisées pour « couvrir » un autre type de transactions financières, notamment portées par l’ONG américaine The Nature Conservancy, consistant à des échanges de dette contre nature. Simplement dit, le principe consiste à acheter de la dette de pays en développement contre un engagement des gouvernements concernés à préserver la biodiversité et les écosystèmes sous leur juridiction. Dernier exemple en date, celui de Belize portant sur un demi-milliard de dette, reprise par The Nature Conservancy et Credit Suisse avec, côté américain, la garantie de l’agence fédérale Development Finance Corporation. Celle-ci a d’ailleurs donné son feu vert pour de nouvelles opérations menées par The Nature Conservancy avec le Kenya (460 millions de dollars), Sainte-Lucie (235 millions) et la Barbade (237 millions). Une vingtaine d’autres transactions sont à l’étude.
L’intérêt avec le développement de tels instruments financiers comme les obligations bleues, c’est qu’ils ouvrent la voie au secteur privé, servant à démontrer que la démarche répond aussi à des critères de rentabilité. Selon Ocean Panel, groupe d’experts de haut niveau pour une économie océanique durable, chaque dollar investi dans des projets océaniques clés rapporte potentiellement un bénéfice de 5 dollars. Alors si l’on considère, comme le Paulson Institute, que le financement de la biodiversité souffre d’un manque de capitaux de l’ordre de 700 milliards de dollars par an, il est évident qu’un tel incitatif susceptible de mobiliser des capitaux privés rend l’objectif plus tangible. Car, jusqu’ici, plusieurs barrières d’entrée ont dissuadé les placements privés, à commencer par le manque d’informations sur l’économie bleue, la valeur de marché de ses services et, partant, celle des investissements potentiels. D’autant que les secteurs cibles que sont le tourisme, le transport maritime, les ports, les pêcheries, l’aquaculture, les énergies renouvelables et le traitement des eaux et des déchets répondent à des logiques économiques différentes. Alors que les obligations « vertes » orientées climat, par exemple, ont comme référence commune la tonne métrique d’équivalents dioxyde de carbone, rien de tel n’est possible pour les obligations bleues. Sans parler, en termes purement financiers, d’un manque de taxonomie et de standards clairs, condition sine qua non pour une possible gestion du risque.
Mais, là également, les forces sont à l’œuvre. Le Programme Environnement des Nations unies a ainsi produit un rapport intitulé « Principes de financement pour une économie bleue durable », premier vade-mecum à l’intention des investisseurs édité en 2018. De son côté, le projet FAN-BEST (Funding Atlantic Network for Blue Economy Technology Transfer) s’est attelé à la difficile mais indispensable tâche de mesurer les bénéfices tirés directement des placements dans les solutions fondées sur la nature en milieu marin. Quant à la Taskforce on Nature-Related Financial Disclosures, elle s’attache à évaluer les risques et opportunités offerts par la finance bleue. Du côté réglementaire, on notera encore le travail annoncé au sommet 2022 de l’ONU sur les océans tenu à Lisbonne, travail mené conjointement par les géants du secteur, dont l’International Capital Market Association (ICMA) et la Société financière internationale, pour réaliser un guide financier sur le marché des obligations bleues dont les standards sont précisément édictés par l’ICMA.
Des critiques aussi
Sans être exhaustive, cette petite liste montre suffisamment les efforts déployés pour faire des investisseurs privés les relais indispensables du financement de l’économie bleue comprise, selon la Banque mondiale, comme « l’utilisation durable des ressources océaniques en faveur de la croissance économique, de l’amélioration des moyens de subsistance comme des emplois et de la santé des écosystèmes marins ». C’est que le temps presse. Raison pour laquelle une multiplication des projets, une croissance des investissements et un accès facilité aux capitaux sont plus que nécessaires. Dans une logique de marché et grâce à l’ingénierie financière, « la prochaine révolution est déjà en marche, celle de la soutenabilité, explique le groupe Lombard Odier, premier gestionnaire d’actifs et de fortune mondial certifié B Corp. Nous sommes convaincus que l’investissement soutenable est le moyen de générer des rendements à long terme et d’accroître la prospérité de nos clients à l’avenir. Une transformation est en cours : les exigences des investisseurs, les nouveaux comportements des consommateurs, les technologies moins onéreuses et les nouvelles réglementations favorisent une transition vers une économie CLIC® – « circular, lean, inclusive and clean » –, c’est-à-dire « circulaire, efficiente, inclusive et propre. »
Cette logique de marché ne fait toutefois pas l’unanimité, d’abord parce que la nature n’est pas un « bien » comme les autres, ensuite parce que son exploitation doit absolument être repensée et, enfin, en raison d’une maîtrise toute relative du pouvoir de l’argent. En ce qui concerne la transaction du Belize, par exemple, la Coalition pour des accords de pêche équitables (Cape) note que « les échanges de dettes ne font que réitérer la croyance selon laquelle une économie bleue durable doit être liée à une croissance économique illimitée. C’est un point de vue dont l’économie mondiale financiarisée est tributaire, mais il est erroné. Faute de le remettre en question, il détruira la possibilité d’un avenir véritablement durable pour des millions de personnes dont la subsistance dépend aujourd’hui des océans. » Hanna Kureemun, doctorante qui travaille sur le domaine public maritime à Maurice et aux Seychelles, dénonce « une dynamique justifiée au nom de l’économie bleue qui se traduit concrètement par un assujettissement de l’État alors dépossédé de ses droits souverains sur ses espaces maritimes ». On relèvera enfin l’enquête de Catherine Le Gall, L’Imposture océanique (2021, La Découverte), où elle exprime de sérieux doutes quant aux capacités du « marché » à sauver les océans. L’écologie libérale qui cherche à préserver durablement ce qu’elle exploite pour le bien commun est-elle donc une tautologie mensongère ? Malheureusement, face à la lente agonie océanique, le temps manque pour y répondre.